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Mobb Deep «Infinite» : le dernier souffle du Queensbridge
Havoc, lui, ne cherche pas à combler le vide. Il accompagne. Il structure. Il laisse Prodigy exister.
Sorti le 10 octobre 2025 sous Mass Appeal Records, Infinite est le retour d’un disparu : c’est un dernier chapitre, construit comme un hommage maîtrisé. Havoc a repris des enregistrements vocaux de Prodigy, certains datant d’avant 2017, d’autres retrouvés dans ses archives.
Avec The Alchemist à la coproduction, il assemble un projet d’une homogénéité étonnante, loin du collage posthume souvent décevant. L’album compte 15 morceaux dont :
- «Against the World» – une entrée brute, où Prodigy annonce d’emblée le ton : défiant, lucide, intact.
- «Taj Mahal» (prod. The Alchemist) – une ambiance mafieuse, sombre, clin d’œil à Hell on Earth.
- «Clear Black Nights» ft. Raekwon & Ghostface Killah – réunion d’icônes, pure essence du rap de rue new-yorkais.
- «Look at Me» ft. Pusha T & Malice (Clipse) – pont entre deux générations obsédées par la précision.
- «Down for You» et “Love the Way” ft. Nas, H.E.R. & Jorja Smith – respirations plus émotionnelles, sans trahir la noirceur générale.
- «We the Real Thing» – conclusion forte, où Havoc clôt le cycle avec sobriété :
“We don’t follow trends, we built the code.”
Production : retour à la poussière du Queensbridge
Musicalement, Infinite ramène le son Mobb Deep à son essence.
Havoc ne cherche pas à moderniser, il conserve l’ADN, celui d’une musique qui se joue dans les marges. Là où beaucoup ont lissé leur style, lui garde la rugosité, la texture, la sueur.
The Alchemist signe plusieurs productions denses et cinématographiques. On reconnaît sa patte dans les transitions, les variations d’ambiance, les détails de mixage qui rendent les voix presque fantomatiques. Le résultat est brut mais précis : chaque son semble pesé pour servir l’émotion, pas la mode.
Thématiques : mémoire, loyauté, survie
Les textes, malgré leur ancienneté, trouvent une résonance nouvelle. Prodigy parle encore de trahison, de paranoïa, de résistance. Mais ici, tout prend une autre dimension : il rappe depuis l’absence. Ses mots résonnent comme des échos venus du passé, traversant le présent.
Havoc, lui, ne cherche pas à combler le vide. Il accompagne. Il structure. Il laisse Prodigy exister. Infinite devient alors un dialogue entre un vivant et un disparu, pas dans la douleur, mais dans la continuité. C’est une conversation entre deux époques, un échange entre ce que le Hip-Hop a été et ce qu’il est devenu.
Un album pour clore une ère
Infinite n’est pas un retour, c’est un adieu.
Mais un adieu digne. Pas nostalgique, pas larmoyant. C’est un disque de transmission, conçu pour rappeler ce qu’était Mobb Deep : la discipline, la précision, le réalisme.
À l’heure où le rap mondial multiplie les sous-genres et les visuels clinquants, Havoc rappelle que la force du Hip-Hop réside encore dans la sincérité du vécu. Aucune stratégie, aucun single radio, juste une œuvre faite pour durer.
Trente ans après leurs débuts, Mobb Deep reste une référence absolue pour tous les artisans du rap technique et viscéral. Leur influence se retrouve autant dans la scène new-yorkaise actuelle (Conway, Benny the Butcher, Roc Marciano) que chez des artistes francophones comme Alpha Wann, Freeze Corleone ou Dinos. Tous partagent cette obsession du détail, du mot juste, du son brut.
Leur héritage dépasse la musique : c’est une manière de penser le rap comme un devoir de vérité. Pas de storytelling calculé, pas de mise en scène inutile. Juste la voix d’un quartier, transformée en art.
Conclusion : une époque disparue, mais un son immortel
C’est la fin d’une époque où le Hip-Hop new-yorkais dictait ses propres règles, où chaque mesure sentait la rue. Mais c’est aussi la preuve qu’une œuvre sincère ne vieillit pas. Mobb Deep ne reviendra plus, mais leur son, lui, n’a jamais quitté nos speakers.
Dans un monde où les tendances se succèdent à la vitesse d’un scroll, Havoc vient rappeler une vérité simple :
Le vrai rap, quand il est né de la rue et de la conviction, ne meurt jamais.
Et Infinite en est la démonstration parfaite.
















