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Entrevues

Entretien avec Kra-Z-Noize, le Human beatbox québécois

Son parcours illustre une immense passion pour le beatboxing et une capacité exceptionnelle à transformer les sons en émotions.

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Si les quatre piliers officiels de la culture hip-hop sont le DJing, le MCing, le breaking et le graffiti, le beatboxing y occupe néanmoins une place paradoxale : souvent qualifié de « cinquième élément », il reste un aspect sous-estimé, malgré son rôle historique.

Car dès les années 1970, des légendes comme Doug E. Fresh et les Fat Boys l’ont pourtant utilisé comme colonne vertébrale rythmique pour les MC et les danseurs. KRS-One, considéré comme le « professeur du rap », évoque même une dimension philosophique étendue du hip-hop, intégrant des éléments comme la connaissance de soi et l’entrepreneuriat.

Kra-Z-Noize : le Human beatbox du Québec

Débuts précoces

Il faut dire qu’à son arrivée au Québec au tournant des années 80, le petit Éric Pascal (de son vrai nom) n’avait, bien sûr, aucune idée de sa destinée. Comme bien des garçons de son âge, il aimait s’amuser à fredonner «La chanson des Schtroumpfs» (créée par le belge Peyo), issue de la série aux petits bonhommes bleus, tellement adorée par les jeunes enfants.

D’origine haïtienne, le jeune Éric s’adapta fort bien à son nouvel environnement de la banlieue de Montréal et son goût pour la musique, particulièrement l’art vocal, s’y développa naturellement au point d’en devenir une passion:

« Dès mon plus jeune âge, ma passion pour la musique s’est nourrie de l’imitation de mon idole absolue, Michael Jackson. Fasciné par le charisme et la maîtrise scénique du « roi de la pop », j’ai perfectionné mes techniques de beatbox en m’inspirant de son génie vocal. Les Fat Boys, pionniers du beatbox et du rap old-school, ont également marqué mon parcours, influençant ma précision rythmique et mon engagement envers l’art vocal. »

Poursuivant sur sa jeune lancée, son baptême scénique en tant que Human beatbox eut lieu lors d’un spectacle des Fêtes de la Saint-Jean-Baptiste à Rivière-des-Prairies. C’est lors de cette prestation, où il devait initialement jouer un rôle secondaire, que celui qui allait éventuellement devenir Kra-Z-Noize vola la vedette. Il avait seulement 9 ans, et il s’imposait déjà comme un artiste émergeant.

Son ascension se poursuit à l’adolescence

Après sa performance à la Saint-Jean, il enchaîna avec des compétitions informelles dans les cours d’école et dans la rue. Une époque où il rivalisait en battles hors des grandes scènes pour son pur plaisir, mais non sans heurts parfois:

« Je suis un compétiteur acharné, j’ai affronté les scènes de battles de Human beatbox durant mon adolescence. Certaines rivalités ont dégénérés, me confrontant même à des agressions physiques de la part de mes adversaires, humiliés par leurs défaites et allant jusqu’à me faire poignarder.

À un moment donné, j’ai arrêté de faire des compétitions, car ma vie était plus importante et ce n’est pas ce que je voulais vivre dans mon quotidien. Se faire poignarder pour une passion n’était pas dans mes ambitions. »

Tournant la page des compétitions, il réoriente alors sa carrière vers des scènes jeunesse (Pepsi Jeunesse, écoles secondaires, Cégep de Rosemont et autres), où son talent éclate sans limites. 

Il se fait remarquer à la télévision

Son talent presque inné pour le beatboxing n’allait pas passer inaperçu. Loin de là !

Sa première expérience télévisée remonte au duo Style-E-Nation, fondé dans les années 1990, avec une apparition à l’émission Bonne Humeur, animée par le regretté Michel Louvain.

À 22 ans, il est invité par Richard Z. Sirois à l’émission de Sonia Benezra, consolidant sa visibilité médiatique.

Plus tard, en mars 1998, Kra-Z-Noize a la chance de faire la première partie de Shades of Culture, lors du championnat de break ROCKON 98 tenu à Montréal.

De plus en plus en demande, Kra-Z-Noize est régulièrement sollicité pour performer dans de nombreux événements et émissions télévisées. Sa polyvalence et son énergie scénique électrisante font de lui un atout précieux pour les organisateurs de spectacles et les producteurs de télévision. Il participe à plusieurs émissions, dont :

  • Vazimolo : Participation solo à l’émission jeunesse culte d’André Robitaille, où il déploie son beatbox devant un public familial
  • Scène de rue : Chantal Lacroix, impressionnée par son talent, l’invite à deux reprises
  • Bouge de là : Participation en 1997, 1998 et 1999 sur les ondes de Musique Plus avec Juliette Powel et Varda Étienne

Une audition avec Juste pour rire qui allait tout changer

Que Kra-Z-Noize, un Human beatbox, soit associé au Festival Juste pour rire, réputé pour le stand-up comique, représente un mélange assez surprenant.

Comment s’est établie cette connexion entre l’univers du beatbox et celui de l’humour ?

«En 2000, le Festival Juste pour rire m’a auditionné pour performer aux spectacles de rue, une facette importante du réputé festival d’humour. Non seulement j’ai obtenu le gig mais Luce Rozon (la sœur de Gilbert Rozon) m’a également offert de participer à un gala du Festival au Théâtre Saint-Denis, marquant un tournant dans ma carrière.

L’engouement pour le beatboxing était tel que, lors de ma prestation sur la rue, les pompiers de Montréal ont dû intervenir et arrêter mon show car il y avait beaucoup trop de monde, ce qui nuisait à la sécurité.

Lors de cette prestation en extérieur, j’ai aussi été approché par un promoteur asiatique en voyage. Il m’a proposé un spectacle à Singapour. Par la suite, j’ai découvert qu’il s’agissait en fait de deux semaines de performances pour l’inauguration d’un grand centre commercial.»

Interrogé sur cette aventure en Asie, il se remémore une famille assidue dont l’enfant, captivé, exigeait de le voir performer quotidiennement, un lien touchant illustrant l’impact humain qu’il avait avec son public.

Cet événement était, sans le savoir, représentatif de l’amour de ses fans tout au long de sa carrière, illustrant son pouvoir d’attraction sans précédent.

Les collaborations qui propulsent sa carrière

Dans le cadre de sa carrière musicale, il a eu l’occasion de collaborer avec plusieurs groupes influents.

«Grace à mon statut d’ambassadeur du beatbox canadien, j’ai eu des collaborations clés avec le duo Vai et K.Maro (alias Lyrix), renforçant mon statut et mon réseau, ainsi que ma reconnaissance à l’échelle nationale et internationale.

J’ai élargit mon influence artistique avec des performances marquantes, dont aux FrancoFolies avec Shades of Culture et aux Bermudes, où la scène culturelle mêle héritage africain et influences caribéennes.»

«Avant la sortie de mon album en 2007, j’ai rejoint le collectif en tant que beatboxeur, décrochant notamment l’opportunité d’ouvrir les concerts de Maestro Fresh Wes à Montréal – une consécration symbolique dans l’univers du hip-hop canadien. Fresh Wes voulait m’avoir dans son équipe, mais je suis resté fidèle à mon groupe Shades of Culture. C’était de belles expériences de vie.

À 25 ans, j’ai été repéré par Dubmatique lors d’un événement clé, où D Soul m’a invité à assurer la première partie de plusieurs spectacles, marquant le début de collaborations stratégiques.»

Ces expériences scellent sa réputation d’artiste polyvalent, capable de mixer prouesses techniques et connexion authentique avec le public dans une dualité qui nourrit son ascension dans l’écosystème du hip-hop.

«Je me suis produis sur des scènes prestigieuses comme le Théâtre St-Denis, le Métropolis, le Medley et le Spectrum de Montréal. J’étais aimé par le public pour mon énergie et mes techniques vocales hors normes. J’ai impressionné également Normand Brathwaite lors d’une émission télévisée sur Télé-Québec, et quand tu impressions Normand, tu le sais que tu n’es pas mauvais du tout.»

Aux côtés dE NORMAND BRATHWAITE LORS DE L’ÉMISSION BELLE ET BUM SUR LES ONDES TÉLÉ-QUÉBEC

Tu as fait partie d’un autre groupe au début des années 2000. Peux-tu en dire davantage sur cette expérience ?

«C’était une belle époque, entre 2001 et 2006, de faire partie du groupe Trip Sonik avec François et Junior, en multipliant les performances, dont des galas Juste pour rire. Mais c’est une partie de ma carrière qui n’a pas eu le dénouement escompté au final.»

La sortie de son album Kra-Z-Noize en 2007

Leurs chemins se séparent en 2007, année où Kra-Z-Noize connaît un tournant décisif. Trois semaines après l’envoi de sa démo, il signe avec Disques TOX pour son album Kra-Z-Noize, la même maison de disques ayant produit Dubmatique .

Très apprécié du public et du milieu, son album reçoit une nomination à l’ADISQ.

«Mon titre phare Pas d’argent s’est imposé comme un classique du rap québécois, consolidant ma légitimité artistique. Mon album a atteint la première place du palmarès CKOI, en plus d’y rester 19 semaines. J’ai décroché une nomination à l’ADISQ dans la catégorie Album de l’année, mais c’est Michaël avec son album Il Tempo qui l’a emporté.»

Un enfant ravive sa flamme

Malgré une période creuse dans sa vie personnelle, Kra-Z-Noize rebondit grâce à une détermination inébranlable et son amour pour la vie. Un moment clé le marque : alors qu’il fait ses courses au IGA, un enfant le reconnaît et lui demande un autographe. Ce simple geste, alors qu’il signe pour le jeune admirateur, lui rappelle son impact et ravive sa flamme artistique.

Il transpose cette expérience dans sa chanson Ma maison la rue pour le projet de Dan Bigras. Le clip met en scène des sans-abris qu’il a invités à participer en les rénumérant, offrant une visibilité poignante à leur réalité. Lors de la présentation du projet, il reçoit une ovation – distinction unique parmi des artistes comme Annie Villeneuve, Sylvain Cossette, Stéphanie Lapointe, Marjo et Éric Lapointe.

Collaborer avec La Compagnie Créole, ces légendes intemporelles, tout en représentant l’univers du rap, ç’a dû être un mélange surréaliste pour toi, non ?

«J’ai enchaîné les premières parties de La Compagnie Créole lors d’une tournée éclair de deux mois, consolidant ma place sur scène. Après cette série d’événements, j’ai choisis de prendre du recul et je me suis tourné vers le domaine de la construction, recentrant mon énergie avant de nouvelles ambitions. J’avais l’impression d’avoir fait le tour de ce que je pouvais offrir.»

Un éventuel retour sur scène

Kra-Z-Noize incarne une énergie contagieuse sur scène, captivant les spectateurs avec ses techniques vocales impressionnantes et sa virtuosité unique. Son parcours illustre une passion immense pour l’art du beatboxing et une capacité exceptionnelle à transformer les sons en émotions.

Entre son travail et ses occupations personnelles, Kra-Z-Noize développe un spectacle innovant alliant beatbox, humour et danse. Un projet qui fusionnerait prouesses vocales, dynamisme scénique et interactions ludiques, repoussant les limites traditionnelles de l’art du beatbox.

Après une période de recul dans ton parcours artistique, quelles sont tes ambitions pour la suite et comment envisages-tu de te réinventer ou de reprendre le chemin de la scène ?

«Bonne question, je travaille sur un scénario qui est écrit, qui mêle l’univers sonore de mon idole Michael Jackson à l’ intensité physique de Bruce Lee, créant ainsi un langage artistique hybride.»

Donc, est-ce qu’on peut s’attendre à te revoir sur scène un jour ?

«Je suis né pour ça, je dois refaire un dernier tour de piste, non parce que je cherche à faire de l’argent, je travaille déjà pour ça à ma job, mais bien pour la passion et l’amour de la culture qui m’a fait grandir dans mon art.

Je souhaite un spectacle où le beatbox rencontre l’énergie scénique d’un MJ et la précision martiale d’un Bruce Lee.»

Revenir dans le milieu artistique après autant d’années n’est pas une tâche facile. Es-tu actuellement à la recherche d’un producteur pour ton scénario, ou envisages-tu de t’autoproduire ?

«Actuellement, je suis en quête de producteurs partageant mes valeurs, et j’insiste sur la nécessité de préserver l’essence de mon idéologie artistique. Mon objectif est d’obtenir la latitude créative nécessaire pour performer sans compromis, fidèle à mon style unique qui a forgé ma réputation au sein de l’industrie.

Avec ce projet, je ne cherche pas à révolutionner, mais à honorer mon parcours tout en explorant de nouveaux territoires. Une démarche qui témoigne de ma maturité, de ma détermination à évoluer sans renier mes racines, portée par l’envie de me connecter autrement avec mon public.

Je ne suis pas parfait dans la vie, j’ai fait des erreurs qui m’ont permis de devenir l’homme que je suis aujourd’hui et cet homme est celui que j’ai toujours été au fond de moi.»

Il tient à souligner le soutien indéfectible de Chantal Lacroix, du metteur en scène Christian Veniza (metteur en scène de son futur projet) et de l’humoriste Jacques Chevalier. Une manière de rappeler que son parcours, marqué par des collaborations audacieuses, soulignant l’importance des alliances dans l’écosystème culturel.

Avec une carrière marquée par des succès locaux et internationaux, Kra-Z-Noize reste une figure incontournable du rap et du beatbox au Québec.

Au nom de toute la communauté hip-hop, nous lui souhaitons tout le succès qu’il mérite ainsi que la meilleure des chances pour la réalisation de son nouveau projet qu’il chéri.

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